Ѫ Le loup n'est pas un homme comme les autres.
Episode spécial 1.04 -


Simyan regardait son fils Cahl âgé de huit ans s’asseoir sagement sur une chaise et ouvrir un livre de contes. Ulrich se trouvait à ses pieds, le fixant avec adoration mais aussi une certaine impatience. Le méta était fier de son aîné… il était parvenu à donner le goût de la lecture à son frère cadet en un claquement de doigts alors que son précepteur n’avait droit qu’à son indifférence.
— Angus, je te les confie le temps de régler les derniers détails concernant mon entreprise, l’informa le loup-garou.
Angus et son jumeau Aldwin étaient plus jeunes que lui.
Le géant brun lui donna une tape virile sur l’épaule, un large sourire sur les lèvres.
— Pars sans inquiétudes, Simyan… je veillerai sur eux comme sur mes propres fils.
Le méta ne répondit pas, il se contenta d’observer Erwan se diriger vers ses enfants et Cahl lui adresser un regard indéchiffrable.
Depuis que leur Etmac, et mère à tous trois, Vaznetta, lui avait fait part de son pseudo don de voyance… Cahl avait changé. Simyan s’était alors renseigné en profondeur et auprès d’éminents amis. Ces derniers lui avaient plutôt suggéré une forme de douance pour la «  prédicabilité effective » . Une sorte de capacité extraordinaire pour deviner l’effet d’une cause en prenant compte des faits mais aussi des données subjectives et incertaines. Tout cela afin d’émettre un résultat avec un pourcentage d’erreur extrêmement faible.
Ce fut ce jour là que le méta loup compris que son fils était capable de connaître la plupart de ses secrets et d’une manière qui n’avait rien de magique ou de surnaturelle.
Il demeurait le fils parfait et obéissant… mais une part de lui avait définitivement disparue au profit d’une attitude réservée et trop calme pour être vraie.
Des secrets... ce n'était pas ce qui lui manquait, cependant, que Cahl puisse les deviner par un formidable don de déduction le mettait dans une situation délicate. Ce fût en cet instant que les prunelles dorées de son fils et les siennes se croisèrent. Les paroles de l'enfant lui revinrent en tête : «  Un jour, Brunan... je dirigerai la meute... dans sa totalité ».
Cahl... Alpha ultime ?
Simyan secoua la tête afin de chasser rapidement cette possibilité de son esprit. Tout d'abord, il devait éviter la femme d'Angus...
Plusieurs années en arrière, un soir où il avait décidé de noyer sa frustration dans l'alcool, il était tombé sur la jeune femme, serveuse à l'époque au seul bar de la ville fréquenté par les métas.
L'un et l'autre avaient, en ce moment précis de leurs vies respectives, de nombreux soucis. C'était presque donc inévitable qu'ils terminent la soirée dans le même lit. Décision impulsive qui avait engendrée un petit problème.
Angus était dénué de jugeote, et jusqu'à présent il ne s'était aperçu de rien, pas même de sa ressemblance avec Erwan qui était son portrait craché.
Son billet de train lui brûlait la poche intérieure de sa veste. Le loup-garou ne supportait plus cet endroit, il le haïssait même. Il rêvait parfois de le détruire, d'une façon ou d'une autre. Mais pour se faire il devait se construire un empire, et seulement là il pourrait écraser cette maudite ville !
Simyan se rapprocha de son fils, et d'un mouvement de tête lui fit signe de le rejoindre à l'écart du reste de la famille.
— J'aimerai que tu gardes pour toi tes... idées, Cahl, ordonna-t-il d'une voix grave.
— Comme ?
— Comme celle dans laquelle tu prétends devenir l'Alpha Ultime. Rien n'est joué.
Le loup-garou fit une pause avant de reprendre :
— Nous sommes toujours une meute unifiée.
— Cela ne va pas durer... grâce à vous, d'ailleurs, murmura le garçon.
— Arrête avec tes théories fumeuses, gronda Simyan Fraut.
— Vous reviendrez changé de votre voyage, cher père, susurra l'enfant en arrachant sèchement une longue herbe pour la fixer d'un air songeur. Nous aurons également un nouveau patronyme.
— Ridicule.
Le méta recula d'un pas. Parfois son fils l'effrayait, lui et ses prédictions.
— Libre à vous de croire ou non... lâcha Cahl tout en haussant les épaules.
— Très bien... Admettons que notre meute se scinde en trois branches, comme tu me l'as affirmé, tes cousins seront tes concurrents. Tes calculs ont-ils pris en comptes ces informations ?
— Bien sûr.
— Et ?
— Et cela ne change pas le résultat. Une jeune fille viendra ici, une métisse. Elle sera ma femme et grâce à elle, je deviendrai le plus puissant Alpha, toute génération confondue.
— Foutaises, souffla le loup-garou.
— Et vous me soutiendrez, Brunan... vous m'encouragerez à accéder à ce statut très convoité. Désirez-vous savoir pour quelle raison ?
— Je t'en prie, persifla son père, légèrement ironique.
Cahl leva les yeux vers le ciel, complètement immergé durant un bref instant dans son monde intérieur. Puis, ses prunelles se rivèrent à celles de son géniteur.
— Vous avez tués votre âme sœur. Votre partie est terminé, vous avez joué et... perdu. Vous saviez par le médecin qu'il était dangereux pour elle de tomber à nouveau enceinte, mais vous vouliez tellement un autre fils. Un plus malléable que moi... un... moins... terrifiant ?
L'adulte et l'enfant se défièrent du regard. Dans celui du garçon, il n'y avait rien d'autre qu'une absolue détermination.
— Tu es démoniaque, chuchota Simyan.
Ce à quoi Cahl souri lentement, sa bouche déformée par un pli bien impitoyable pour un louveteau de son âge.
— Les loups ne font pas des chats, j'ai été à bonne école. Seulement... je vous surpasserai, de très loin, même, dit le garçon avant de se détourner de son père.
— Cahl ! l'interpella ce dernier.
Une fois que son fils s'arrêta, néanmoins sans lui faire face, il poursuivit :
— Je trouverai ton point faible, un jour. Par exemple, cette fameuse métisse dont ta petite prophétie parle... ricana le loup-garou.
Le jeune méta arracha une nouvelle herbe, joua avec pour finalement l'écraser entre ses doigts.
— Merci pour cet avertissement, Brunan. Je ferai extrêmement attention à ne pas trop m'attacher à elle, dans ce cas. Après tout, elle n'est qu'un moyen qui me permettra d'atteindre mon objectif.
Ce discours provoqua un éclat de rire chez son père.
— Ne sous-estime pas le pouvoir du lien des âmes sœurs, Cahl... Tu risques d'être très surpris ! Je languis presque de voir ça...
— Quant à vous, vous feriez mieux de ne pas me sous-estimer tout court.

***

Soudain, une femme brune entra avec trois garçonnets certainement âgés de moins de dix ans. Le plus grand en terme de taille possédait une chevelure blonde et avait une expression joviale sur le visage. Celui avec une tignasse hirsute aussi noire que son accompagnatrice arborait une moue renfrognée, quant au troisième… il portait un costume au tissu couteux, ses cheveux était peignés soigneusement et affichait un air extrêmement sérieux. D’ailleurs, ce fut celui-ci qui tourna vivement la tête dans sa direction. Ses yeux étrangement dorés le fixèrent longuement. Chiaki et lui échangèrent un regard qui le laissa perplexe. Une pensée saugrenue lui traversa l’esprit : cet enfant… cet enfant avait deviné sa nature extraordinaire ?!
L’asiatique huma discrètement les effluves flottant autour d’eux… des… loups ?
Une autre jeune femme pénétra dans la salle, et vu sa tenue, s’était sûrement la serveuse. Elle se tordait nerveusement les mains tout en allant à la rencontre du petit groupe, n’osant pas regarder droit dans les yeux son interlocutrice.
Le japonais l’observa attentivement, oubliant aussitôt l’enfant qui le scrutait, lui.
Ses longs cheveux châtain étaient noués dans une queue de cheval et ses traits de poupée fragiles avaient quelque chose de fascinant.
— Qu’êtes-vous ? demanda une voix enfantine.
Les yeux d’Okada se baissèrent sur… le garçon en costume marine.
— Je… commença Chiaki, surpris d’être abordé aussi directement.
— Cahl ! Veux-tu laisser ce client tranquille ! lui ordonna la jeune femme brune.
— Ma tante, dit seulement l’enfant sans terminer sa phrase, ses prunelles rivées sur le Kitsune.
Puis, profitant que cette dernière était à nouveau en pleine conversation, il poursuivit à voix basse :
— Vous n’êtes pas l’un des nôtres… mais vous n’êtes pas non plus un humain. Qu’êtes-vous, exactement ?
Le japonais essaya de sourire, faussement détendu et amusé. En réalité, il était stupéfait par la perspicacité de ce dénommé Cahl.
— Votre odeur est assez particulière pour que je m’en souvienne, annonça le garçon, l’inflexion grave.
Chiaki se statufia. Était-il découvert ?
— Je suis en voyage de courte durée, jeune homme. Je ne pense pas que nous nous recroiserons à l’avenir…
L’enfant souri, un sourire bien froid pour un bambin de son âge.
— L’avenir… j’en fait mon affaire, lâcha-t-il avant d’obtempérer à sa tante qui l’appelait encore.